3# Le parfum d’une Epoque : l’univers de François Coty


Du rétro / lundi, juillet 22nd, 2019

« Donnez à une femme le meilleur produit que vous puissiez élaborer, présentez-le dans un flacon parfait d’une belle simplicité et d’un goût impeccable, faites-lui payer un prix raisonnable, et ce sera la naissance d’un commerce tel que le monde n’en a jamais vu » F. Coty

Prononcée par le célèbre parfumeur corse, Monsieur François Coty (1874-1934), de son vrai nom Joseph-Marie François Spoturno; cette phrase définit naturellement le ton donné à l’exposition actuelle L’Art du Parfum organisée par son arrière-arrière-petite-fille Véronique Coty (Présidente de l’association François Coty) à l’Hôtel de ville de Puteaux.

Puteaux, haut lieu de l’industrie française

Passé l’esplanade de style néo-classique, vous empruntez l’escalier d’honneur, rejoignant la salle des colonnes de l’hôtel de ville de Puteaux, votre première surprise sera sans aucun doute la découverte de la fresque retraçant l’histoire de Puteaux réalisée par le peintre-dessinateur Louis Marius Bouquet en 1934. Fresque monumentale de plusieurs mètres, elle est un hommage à la modernité des activités de cette ville qui l’ont façonnée au cours du temps entre culture de vignobles, blanchisseries, activités industrielles sur les quais de Seine. Cette ville a toujours été un lieu incontournable de l’industrie française. Flashback vers la fin du 19e siècle début 20e, des automobilistes arboraient fièrement leurs engins inédits sur les Champs-Elysées à la Belle-époque, automobiles sorties de l’usine Dion-Bouton. L’autre invention incontournable est le premier avion de chasse moderne – le MS.406 – du constructeur aéronautique Morane-Saulnier à entrer en service dans les unités de l’Armée de l’Air en 1938, un des avions de chasse le plus connu lors de la seconde guerre mondiale (source : Joëlle Ceccaldi-Raynaud, Maire de Puteaux) ; et culture de la « Rose de Puteaux », rose des parfumeurs. Les nez s’éveillent. C’est donc entre Histoire d’une ville et les styles Belle époque et Années Folles que l’exposition d’un visionnaire parfumeur se tient. Immersion.

Escalier d’honneur de l’Hôtel de ville de Puteaux // Crédit photo The Poppy Logbook

François Coty, éveil des sens par un nez visionnaire

Formé au sein de la Maison Chiris à Grasse, la plus importante des sociétés de parfumerie grassoise de l’époque, François Coty a appris les techniques de l’élaboration de parfums et a perfectionné son talent passion : l’Art de sentir pour créer. Georges Chiris, héritier de cette famille de notables industriels sera l’un de ses meilleurs amis.

En s’imprégnant de plus en plus de l’univers de ce parfumeur, vous découvrez au cours de votre promenade que celle-ci devient…sensorielle ! Car, oui, tout passionné de parfumerie se délecte de la seule vue de flacons et autres documents d’époque ravissants mais avouons-le, notre nez ne demande toujours qu’à être sollicité ! C’est la raison pour laquelle en partenariat avec l’Osmothèque de Versailles, 8 des plus célèbres fragrances de la Collection particulière de l’Association François Coty ont été recrées par Jean Kerléo (fondateur de L’Osmothèque et célèbre nez de la Maison Jean Patou) le temps d’une exposition.
L’idée était aussi de stimuler notre sens de l’ouïe (NB : les casques ne fonctionnaient pas lors de ma venue). Alors regardons de plus près ce que ces compositions évoquent.

  • 1904 : La Rose Jacqueminot

Avis : Fleuri – Pur – Simple – Féminin – Propre – Poudré

Tout juste revenu de sa formation en parfumerie à Grasse, François Coty crée en 1904 sa propre usine de parfums sur les bords de Seine à Suresnes. Influencé par la mode du « bouquet floral » de l’époque et nostalgique de ses belles de Mai de Provence, il décide de structurer son tout premier jus autour du symbole de la féminité et de la douceur : la rose !

Flacons de parfums de 1904 à 1906 // Crédit photo The Poppy Logbook
  • 1905 : Ambre Antique

Avis : Doux – Enveloppant – Réconfortant – Sucré – Séduction

  • 1905 : L’Origan

Avis : Vintage – Fleuri – Fruité – Pétillant – Piquant – Poudré – Affirmé

  • 1906 : Jasmin de Corse

Avis : Doux – Fleuri – Suave – Capiteux – Bord de mer sauvage

Nous imaginons facilement des scènes pour ces senteurs, un boudoir de femmes élégantes et bavardant des heures durant ou un fumoir où gentlemen et hommes d’affaires énoncent décisions politiques et pratiques de business. Nous sommes en train de comprendre que ces parfums anciens étaient bien modernes pour ce temps car assimilables à des compositions actuelles.

  • 1909 : Cordon rouge

Avis : Doux – Enveloppant – Animal – Equilibré – Sensuel – Crémeux – Frais

Cordon Rouge // Crédit photo The Poppy Logbook
  • 1917 : Chypre

Avis : Testeur manquant.

1917, ce sera bientôt la fin de la première guerre mondiale. François Coty installe avec son ami Georges Chiris, une usine de jouets en bois sur l’île de Puteaux et confie leur fabrication aux mutilés de guerre. Dans les années 20 le bâtiment est transformé en fabrique d’emballages de parfum.

Souvent surnommé « le père de la parfumerie moderne / parfumeur de génie », Régine Pasquet, directrice du patrimoine Coty Luxury souligne que « François Coty a eu le génie de glisser des fleurs et des matières premières charnelles comme l’ambre et le benjoin, entre la bergamote fraîche et les mousses terreuses de ce qu’on appelait auparavant la poudre de chypre et qui est, par exemple, à l’origine de Chypre de Guerlain en 1840. Cet accord atténue le côté rugueux tout en conservant l’élégance. Avec son Chypre, Coty a inventé le parfum moderne, architecturé, avec des effets de matière tel qu’on le connaît aujourd’hui. »

  • 1921 : Emeraude

Avis : Végétal – Poudré – Mixte – Frais – Doux – Epicé – Rond

Flacons de parfums de 1909 à 1927 // Crédit photo The Poppy Logbook
  • 1927 : L’Aimant

Avis : Fleuri – Piquant – Mousse de forêt – Frais – Poudré – Vintage – Guilleret

Ce parfum marque un nouveau pas dans la manière de gérer son commerce, puisque François Coty, rencontrant des difficultés financières dues au contexte du krach boursier de 1929, fait appel aux services d’un parfumeur pour sa propre marque, le jeune grassois Vincent Roubert qui créé un fleuri aldéhydé proche du N°5 de Chanel : L’Aimant. Dès lors, François Coty n’oeuvrera plus dans son laboratoire et suivra les courants de mode commerciale imposée par les couturiers parfumeurs Dior, Chanel, et bien d’autres.

François Coty, un marketer de génie

Voulez-vous savoir ce qui marque le plus les esprits lors de la découverte de cette exposition ? Très certainement les flacons, poudriers et affiches publicitaires. De prime abord, les profils marketing et communication ne seront que peu convaincus par cet avis car à près tout nous connaissons. Or, rappelons le contexte, nous sommes fin 19e début du 20e siècle, la promotion des produits se fait encore principalement de bouche à oreille. Ces outils de vente avant-gardistes ne se placent-ils pas à l’essence même du marketing mix des 4 P ? (Product – Promotion – Price – Place) Un beau développement commercial pour ce temps, et on imagine presque que François Coty aurait pu avoir un compte Instagram des plus plébiscités car original et singulier ; car là est la force d’un marketing moderne imaginé par ce parfumeur. Il comprend vite que le parfum est objet de désir jusqu’alors réservé à l’élite mais le grand public doit y trouver aussi sa place et son pouvoir d’achat.

Un Parfum se regarde autant qu’il se sent,

Il est objet avant d’être senteur.

Il a alors l’idée d’associer des essences naturelles de la parfumerie classique avec des molécules de synthèse moins onéreuses : « le père de la parfumerie moderne » apparaît !

Exposition François Coty, L’Art du Parfum // Crédit vidéo The Poppy Logbook

L’esprit commercial du parfumeur ne s’arrête pas qu’à la composition de ses jus. En effet, dès sa première création, François Coty donne une importance capitale au marketing car il souhaite que ses cibles de consommateurs soient diverses. Faire mouche, c’est son but. A l’instar de la petite coquetterie de certains visages de ces dames d’Antan, François Coty veut que ses parfums se remarquent mais tout en finesse. Il fait appel aux plus grands maîtres verrier dont le curriculum vitae laisse rêveur :

1885, maître du bijou moderne de style Art nouveau, bijoutier officiel de la sulfureuse actrice Sarah Bernhardt

1900, René Lalique reçoit le Grand Prix à la 6e Exposition Universelle de Paris et devient Officier de l’Ordre de la Légion d’honneur

1910, René Lalique voue une passion au travail du verre et la création des flacons de parfumerie, il s’associe à François Coty et consacre son industrie qu’à la fabrication de flacons de parfums.

Lalique X Coty : Ambre antique, Au cœur des calices, L’Effleurt, Chypre

Cosmétiques et parfums Coty // Crédit photo The Poppy Logbook

1823, commande prestigieuse d’un service de verres en cristal pour la cour du Roi Louis XVII. Baccarat sera par la suite un des fournisseurs officiels du Royaume.

1834 à 1878 : 4 médailles d’or aux Expositions Universelles et d’Industrie

1907, ouverture à Rambervilliers de l’usine uniquement dédiée à la taille de flacons de parfums, François Coty a trouvé le créateur de son premier flacon de parfum.

Baccarat X Coty : La Rose Jacqueminot, L’Origan

Le tintement du cristal pourrait évoquer dans ce lieu quelque sonorité d’une forêt enchantée cachant des joyaux en son sein, les flacons, poudriers et documents rétro. Le cristal est sous vitrine, fièrement accompagné de ces jus parcourant les âges. Tintements. Tintements de fraîcheur de la fontaine au centre de la salle des colonnes, le tout magnifié par des bouquets de petites roses.

Tintements de fraîcheur lors de l’exposition // Crédit vidéo The Poppy Logbook

Mode vintage de nos jours mais modernité de l’époque, nous apprécions cette exposition qui nous propose des réminiscences d’un temps passé tout en féminité mais sans fioritures ; une élégance de Belle époque et d’Années Folles. La folie de voir l’industrie du parfum autrement, la folie de faire confiance en l’imaginaire d’un nez.

François Coty y crût, François Coty réussit.

Exposition François Coty, L’Art du Parfum

Entrée libre : Du 5 au 28 Juillet 2019

Hôtel de ville de Puteaux

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